Véritable point névralgique de la ville, l'aciérie de Los Santos accueille chaque jour des dizaines de travailleur·euse·s. Modestes prolétaires, nouveaux arrivants, criminels notoires et personnalités publiques, plongez avec nous au cœur de cette usine des temps modernes.
Il est huit heures du matin sur l'Etat de San Andreas, et le crissement des pneus sur du gravier semble réveiller les alentours. Un camion descend les chemins de terre menant au cœur de la mine de fer (zip : 3054). A son bord, l'un des nombreux travailleurs de l'aciérie de Los Santos, venu prendre son service quelques minutes plus tôt. Il gare son bolide au plus proche du point de récolte pour s'éviter d'incessants allers-retours, puis il commence à creuser, cherchant scrupuleusement le moindre gramme de cette matière précieuse. Lorsque son camion sera plein, il rentrera à l'aciérie, et sous une chaleur écrasante, il chargera le fer dans les chaines de production de l'usine. Il récupèrera ensuite l'acier qui en sortira, remplira à nouveau son camion, et se rendra sur les docks, où il déchargera une ultime fois sa cargaison, qui partira ensuite par bateau vers le continent.
Sa tournée – ou son run comme l'appellent parfois les travailleurs – durera au moins une heure, et lui rapportera à peine plus de 1 000 $, desquels il devra déduire nourriture, médicaments, et parfois même frais d'essence. Il recommencera alors encore, encore et encore, jusqu'à trouver un véritable emploi ou, pour les moins chanceux, jusqu'à ce que la vie ne le fasse sombrer dans l'illégalité.
Brouillard sur la mine de Davis Quartz © Barry Chuck
Ce paysage gris et triste au premier abord attire pourtant de nombreux et nombreuses nouvelles arrivantes. Pire, services publics et associations recommandent même à tous et toutes de commencer par là, et à graver dans la sueur et l'acier votre nouvelle citoyenneté.
Alors pourquoi l'aciérie est-elle si importante et attractive ? Que se passe-t-il réellement dans la mine, dans l'usine et sur les docks ? Faisons ensemble un tour d'horizon de cet écosystème, et tentons d'en comprendre les mécaniques.
Des allocations chômage sont versées aux personnes sans emploi, à raison de 33 $ du quart d'heure. Tout juste de quoi survivre, mais certainement pas assez pour permettre à tout un chacun d'obtenir logement ou situation stable. Alors, le pôle emploi (zip : 8172) s'efforce de remédier à la situation, et propose des emplois temporaires : livraison de journaux, livraison de colis (Go Postal), aciérie. Plusieurs constats peuvent déjà être faits.
Premier constat : l'écart de salaire entre ces trois missions est conséquent. Pour 1h30 de travail, la mission de livraison de journaux rapportera environ 450 $, la livraison de colis environ 750 $, et l'aciérie jusqu'à 1 400 $. Rien d'étonnant donc à ce que l'immense majorité des personnes en recherche d'emploi se dirigent vers cette dernière option.
Deuxième constat : le travail en aciérie est dur mais organisé. La livraison de journaux et de colis, quant à elles, souffrent d'un terrible manque d'optimisation. Les tournées sont annulées si tôt que l'on s'éloigne un peu trop de notre véhicule. Il n'est également pas rare de faire des allers-retours à travers la ville, passant d'est en ouest et de nord en sud, pour finir par revenir livrer à quelques encablures d'un arrêt précédent. Le parcours des livraisons étant très mal optimisé, les travailleur·euse·s perdent un temps précieux sur la route. Le temps, c'est de l'argent, et cette population-là n'a aucune envie d'en perdre.
Troisième constat enfin : les missions de livraison sont réalisées en solitaire. L'aciérie, au-delà de l'apport financier, permet le maintien d'un contact social entre les personnes en recherche d'emploi. En d'autres termes, plus l'aciérie est attractive, plus elle le devient.
Fonderie où les travailleurs transforment le fer en acier, de nuit © Barry Chuck
Alors pourquoi cette situation ? Le pôle emploi cherche-t-il délibérément à maintenir le statu quo et à privilégier les missions à l'aciérie au détriment des autres ? S'il est tentant d'imaginer que le bien-être des travailleurs est effectivement la priorité des services publics (meilleur salaire, création d'un réseau, etc.), il semble toutefois difficile d'admettre que cela soit la seule et unique raison. Cette énorme industrie de l'acier exporte des cargos entiers vers le continent. Et elle est, en l'état, maintenue par le travail difficile, imposé et peu reconnu de personnes en souffrance économique ou sociale, qui ne comptent que sur l'entraide pour s'en sortir.
Car c'est bien là tout le paradoxe. Le constat froid et distant d'une industrie qui fait son beurre sur le dos des travailleurs s'oppose de manière très nette à la réalité de ce que vivent ces hommes en orange – la couleur des uniformes prêtés par l'aciérie.
Les hommes en orange font preuve d'une solidarité exemplaire. Il n'est ainsi pas rare que des travailleurs ayant fait leur part s'attardent le temps nécessaire pour permettre aux autres d'en faire autant, et ainsi le cortège des camions de l'aciérie reprend sa route vers leur prochaine destination.
Fréquents également sont les conseils, les astuces, les informations. L'aciérie embauchant majoritairement des personnes récemment immigrées ou sans emploi, une importante partie du travail d'information se fait sur le terrain. Les connaissances, l'expérience et les bons plans se partagent dans cette grande famille.
A l'aciérie que se forgent les contacts, les réseaux. Les travailleurs et travailleuses parlent de leurs projets, de leurs ambitions, de leurs envies. Iels se donnent des nouvelles et croisent les doigts à chaque fois qu'un membre de la famille. Les entretiens d'embauche sont débriefés à plusieurs, poussant les futurs candidats à être mieux préparés que leurs prédécesseurs. Les numéros de téléphone sont échangés : untel te donnera des bons plans, évite plutôt celui-ci, n'hésite pas à contacter celui-là.
C'est également sur les trois points principaux de l'aciérie (mine, usine et docks) que l'on trouve parfois quelques bénévoles de la Fondation Collins ou de l'ENA, venus s'assurer que les travailleurs et travailleuses ont le minimum pour survivre. On y trouve aussi parfois des conseillers de la mairie de Los Santos, venant rappeler leurs droits et les aides mises à disposition.
Et c'est précisément parce que ce public particulièrement fragile est en demande de solidarité qu'il focalise autant l'attention.
L'envers du décor. Le revers de la médaille. La force de travail des employés de l'aciérie est un vivier pour quiconque chercherait à en tirer profit. Les réseaux criminels de l'île revêtent leurs plus beaux apparats et promettent monts et merveilles, à la recherche de quelques crédules.
Beaucoup de criminels sont des gens de la rue. Ils la connaissent. Ils connaissent ses dangers, ses failles, ses limites. Alors ils savent comment s'y prendre.
Vous cherchez de la considération et du respect ? Nous pouvons vous aider.
Vous avez de l'ambition ? Nous pouvons vous aider.
Les forces de l'ordre patrouillent elles-aussi sur les sites de l'aciérie, mais de leurs propres aveux, elles n'ont pas les moyens d'être partout pour empêcher cette filière criminelle de prospérer.
Le pire étant sans doute que, d'une certaine manière, les réseaux criminels apportent ce qu'ils promettent, et parfois davantage que ce dont la société est capable.
L'enjeu n'est pas ici de faire l'apologie de la criminalité ou de la condamner, mais d'observer les mécanismes qui lui permettent de proliférer. Comprendre pour mieux prévenir. Agir en amont pour éviter le piège.
On peut aujourd'hui identifier deux mécanismes de prévention : les patrouilles de forces de l'ordre et les services publics.
Les forces de l'ordre, d'abord. Elles patrouillent parfois sur les sites de l'aciérie, mais de leur propre aveu, n'ont pas souvent le temps nécessaire pour venir faire de la prévention.
Les agents du LSPD rencontrés sur place sont parfaitement conscients de la place qu'occupent les réseaux criminels sur ces sites, dès que les sirènes se sont éloignées. Ils semblent pourtant ne pas avoir beaucoup de solutions à proposer.
Les services publics, quant à eux, proposent déjà des aides permettant aux plus fragiles de s'en sortir : aide à la chambre d'hôtel, aide au logement, aide au diplôme, et bien sûr les indispensables tickets (restaurant, taxi, médicaments, réparation), et visites impromptues des conseillers et conseillères sur le terrain. Le kit du nouvel arrivant, en somme. Ajoutons à cela les aides proposées par l'ENA et la Fondation Collins, et nous retrouvons un Los Santos accueillant, bienveillant et tendant la main à son prochain.
Il serait facile de conclure par une phrase aux relents philosophiques, qui affirmerait à quel point l'aciérie est le miroir des paradoxes de la nature humaine. Mais tentons plutôt de revenir vers le concret et la réalité.
L'aciérie est un lieu central où se côtoient des forces de natures diverses ayant un seul point commun : tirer les plus fragiles vers eux. Elle est un lieu de tous les possibles, aussi dangereuse qu'indispensable. Dangereuse car elle laisse les plus fragiles soumis aux aléas de la rue, malgré les efforts des services publics pour les en protéger. Indispensable car elle œuvre à l'émancipation individuelle et collective, par le travail et par le réseau.
Il est difficile de savoir si la politique « tout aciérie » actuellement mise en place est la bonne. Regrouper les problèmes pour mieux les contrôler, au risque de créer une entité qui nous dépasse ? (certains travailleurs parlent même parfois de « gang de l'aciérie »). Ou bien préférer créer des alternatives, multiplier les possibilités au risque de perdre trace de cette population fragile, et de la voir sombrer dans la petite criminalité ?
Les possibilités sont nombreuses et à l'heure actuelle, les pouvoirs publics persistent et signent.