Le journalisme, souvent présenté comme le gardien impartial des vérités du monde, est un métier qui, de prime abord, semble se complaire dans la neutralité et l'apolitisme. Mais cette neutralité est un mirage. Explorons ensemble pourquoi le journalisme ne peut ni ne doit être apolitique, et comment tracer la fine ligne entre le journalisme d'information et le journalisme de propagande.
L'objectivité est considérée comme un idéal à atteindre, une garantie que les informations rapportées sont impartiales et véridiques. Dans cette optique, l'inclusion de toute opinion personnelle serait perçue comme une menace pour cette objectivité sacrée.
En parallèle, la confiance du public est un pilier essentiel du journalisme, et de nombreux partisans de la neutralité journalistique estiment que l'expression d'opinions personnelles pourrait saper cette confiance. Ils craignent que le public puisse se sentir influencé ou manipulé si les journalistes laissent transparaître leurs convictions.
Une autre raison pour laquelle les gens pensent que les journalistes devraient se tenir à l'écart de toute prise de position est la peur du biais et de la partialité. Les médias ont parfois été critiqués pour être partisans, favorisant un point de vue politique ou idéologique au détriment d'autres. Cette méfiance envers les médias a conduit à l'exigence d'une neutralité stricte pour éviter toute manipulation de l'information.
Derrière cette quête obsessionnelle de la neutralité absolue se cache une illusion. Les journalistes ne sont pas des automates dépourvus de convictions, ce sont des êtres humains avec des idées, des expériences et des valeurs propres. Ils sont naturellement influencés par leur environnement et leur éducation. Dans un tel contexte, la neutralité totale est inatteignable.
"Mais le journaliste a le devoir de mettre ses opinions de côté et de se contenter des faits !" pensez-vous peut-être.
Il est temps de briser le mythe de la neutralité journalistique.
Non, le journaliste n'a pas à mettre de côté ses convictions.
Non, le journaliste n'a pas à traiter toutes les idées et toutes les personnes sur un pied d'égalité.
Non, le journaliste ne doit pas se limiter à présenter des faits.
La neutralité journalistique serait une quête sans fin vers l'objectivité, un idéal à poursuivre mais jamais totalement atteint, et qui perdrait au passage la substantifique moelle de ce qui permet au journaliste de faire avancer la société : ses choix.
La ligne éditoriale, c'est un choix.
La construction d'un article, c'est un choix.
Le choix d'une photographie, c'est un choix.
L'utilisation de mots plutôt que d'autres mots, c'est un choix.
Les choix sont motivés par des prises de position, et les prises de position sont forcément politiques, subjectives et non neutres.
La ligne entre un journalisme factuel et un journalisme partisan est tracée à l'endroit où le journalisme commence à vouloir convaincre plutôt que d'informer et d'expliquer. Plutôt que de chercher à éradiquer les opinions personnelles, il est plus réaliste et honnête d'admettre leur existence et de les inclure dans le processus. La clé réside dans la transparence et l'éthique.
Le journalisme de qualité repose sur la transparence. Le public doit savoir d'où vient l'information, quelles sont les sources, quels sont les potentiels conflits d'intérêt entre le journaliste ou le journal et les parties prenantes. Le public doit pouvoir comprendre l'objectif recherché par le journaliste, et le fonctionnement du processus éditorial. C'est avec cela que le public peut finalement être capable de faire la part des choses entre ce qui constitue un fait rapporté, ce qui constitue une analyse, et ce qui constitue la grille de lecture de cette analyse. Et c'est précisément cette transparence qui permet au public de faire preuve de discernement et de décider par lui-même si une information est digne de confiance.
Si le journalisme ne peut pas être totalement neutre, c'est aussi parce qu'il remplit un rôle essentiel de contrepouvoir dans une société démocratique. Les journalistes sont les gardiens de la transparence et de la responsabilité, en surveillant le pouvoir et en révélant les abus. Pour remplir cette fonction, ils doivent nécessairement s'engager, parfois de manière partisane, pour défendre les valeurs fondamentales de la démocratie. Le journalisme est intrinsèquement politique, car il doit critiquer, questionner et remettre en cause le statu quo.
Imaginez un monde où le journalisme serait neutre et apolitique à l'extrême, où les médias se contenteraient de rapporter des faits bruts, sans analyse ni prise de position. Cette vision peut sembler idéale, mais elle est profondément dangereuse. En refusant de s'engager dans les débats politiques et sociaux, les médias laisseraient un vide que d'autres acteurs pourraient combler, souvent avec des intentions moins nobles. Les médias neutres deviendraient des vecteurs passifs de propagande et de désinformation.
Alors non, le journalisme n'est ni neutre, ni apolitique.